MA TRAVEL THÉRAPIE
- Coralie Marichez
- 9 avr. 2019
- 6 min de lecture
Ça faisait des mois que je cherchais à écrire ici et que je n’y arrivais pas. Depuis le retour de Nouvelle-Zélande en août dernier, j’ai eu beaucoup de mal à avancer. L’effet post-voyage vous me direz… Certainement un mélange de tout ce dont j’évoquais dans mon article bilan, et pourtant… Entre temps, je l’ai repris mon sac à dos et j’y suis retournée vivre à l’étranger. J’ai rejoint mon kiwi, j’ai repris ma vie de voyageuse, mais je n’ai jamais réussi à retrouver mes repères. J’avais exactement la même routine que quand j’étais partie en 2017, sauf que cette fois, je n’avais plus en tête ce projet de "guérir par le voyage"… Et croyez moi, ou non, cela fait toute la différence.

Quand je suis partie la première fois, c’était pour me remettre de ruptures sentimentale et professionnelle, pour répondre à de nombreux doutes et questions en suspens. Trois expériences dans trois pays, pour me couper de ma vie « d’avant ». Le jour où j’ai finalement embarqué pour le pays du long nuage blanc, je me suis promise de partir pour mieux revenir. De ce fait, ce voyage, aussi loin qu’il ne s’est fait, je l’ai surtout vécu intérieurement. De novembre à janvier, j’ai tenté de vous écrire, de vous raconter mes quelques périples sur place, de vous livrer de nouvelles anecdotes. Mais je n’y arrivais pas. Tout ce que j’expliquais vivre lors de mon retour en France, je le vivais aussi lors de mon retour en Nouvelle-Zélande. Comme l’impression de rentrer à la maison sans que celle-ci ne soit la mienne. D’avoir de grands projets sans vraiment en avoir. Sauf que tout ça, je ne le comprenais pas. Face à mon écran d’ordinateur, les mots s’embrouillaient, les histoires s’enchevêtraient. Je ne trouvais pas de sens à ce que j’écrivais. Je ne parvenais pas à comprendre ce qui pouvait bien m’arriver.
Si aujourd’hui je commence enfin à assembler les pièces du puzzle, c’est aussi parce que depuis, la vie s’en est mêlée... Le 12 janvier dernier, alors que je menais toujours ma vie de nomade à l’autre bout du monde, j’ai appris le décès brutal de mon papa. Un seul coup de téléphone et c'est ce périple tout entier qui prend une autre saveur….
Je n’ai que très peu réussi à mettre les mots sur l’état dans lequel on est à ce moment précis bien que les sensations m’habitent toujours aujourd’hui… Je me suis longtemps questionnée à l’idée qu’un jour j’aurais peut-être ce coup de fil auquel je ne voudrais pas répondre, porteur de ce que je ne voudrais pas entendre. Mais jamais, oh non jamais, je ne me suis imaginée la douleur d’être aussi loin. Quelques mots suffisent pour que tout un monde s’écroule autour de vous. Une fraction de seconde et ce sont des émotions en pagaille, des souvenirs bousculés, des plans de vie chamboulés.
Des milliers de kilomètres soudain devenus milliards. De nombreuses fois il m’a fallu apprendre à dire au revoir, à partir sans me retourner, à vivre avec ce sentiment de manque et à faire face à l’absence. J’ai appris à observer, respecter, m’adapter. Je me suis préparée à de nombreuses situations mais il y en a une à laquelle ni les gens, ni le voyage ne pourront jamais réellement vous préparer : la perte d’un proche.

Depuis ce coup de téléphone, j’ai nagé en surface. Errer dans les profondeurs. Tantôt bercée par le son des vagues, tantôt secouée par les marées. J’ai affronté des tempêtes de hauts et de bas que je ne contrôle absolument pas. J’ai vécu et je vis dans un monde où tout n’est qu’éphémère. En perdant mes repères, j’ai peu à peu perdu confiance en la vie, confiance en moi, ne sachant plus vraiment ce dont j’avais envie ni même ce dont j’avais besoin. C’était l’heure du grand test. Un peu comme si en un instant l’univers ou la vie, reprenait tout ce que j’avais construit en moi durant un an, pour me pousser à l’eau, et me regarder me débattre ou me noyer dans cet océan de verre. Chaque mouvement, chaque parole, chaque essai pour sortir la tête de l’eau, vous écorche, vous blesse et vous emmène un peu plus loin du rivage. Et malgré toutes ces bouées lancées depuis la rive par vos proches, le seul et unique moyen apparent pour vous en sortir, c’est d’affronter la douleur, de nager et de le faire, par vous même.
J’ai mis du temps à comprendre ce qui se passait dans ma tête, dans mon corps. Pourquoi tout allait mal. Pourquoi l’eau devenait toujours plus glaciale. J’en ai eu du monde autour de moi à me tendre la main pour me sortir de là, mais la vérité c’est que je ne pouvais. Pas encore. J’avais besoin qu’on m’entende hurler au milieu des courants, mais pas que l’on vienne me chercher. J’avais besoin de vous apercevoir de l’autre côté du rivage, mais pas de vous observer plonger avec moi. J’avais besoin de ressentir la douleur, de la vivre, pas d’y échapper. Je dois dire que j’avais même envie de rester là parfois. De continuer à crier, à fuir, à pleurer. D’être seule, de passer des heures à ne rien faire, à contempler le ciel, le soleil, la lune. A flotter au milieu des débris et à attendre que quelque chose se passe. Alors ces derniers mois, j’ai erré dans ma vie comme on erre dans une gare ou un aéroport. A la recherche du bon train à prendre, du bon avion. A attendre le dernier appel pour embarquer. Même si cette fois je ne savais plus si j’avais vraiment envie d’y aller…

Et puis, un beau matin, on se réveille avec l’envie de reprendre les choses en main. De se mettre à nager, contre vents et marais. Les envies reviennent. Et le courage avec. On commence par respirer un peu d’air frais et on entame alors un tout autre voyage.
Depuis le début, j’ai eu la chance d’avoir une famille en or et des amis formidables, qui m’ont soutenue, relevée, épaulée. Malgré parfois mon envie de les ignorer. J’ai beaucoup souffert de ne pas être capable de mettre les mots sur ces émotions. De vous expliquer réellement comment on se sent après tout cela. C’est la raison pour laquelle je prends le temps aujourd’hui de le faire. Être témoin de ma tristesse, n’aura pas tous les jours été facile pour vous. Je vous ai parfois laissé avec ce sentiment d’impuissance mais chacun de vos gestes, chacune de vos paroles m’ont apporté les fondations dont j’avais besoin pour rebondir et m’en sortir.
Ce que je vis depuis quelques semaines maintenant, d’autres le vivent, l’ont vécu ou le vivront à un autre moment. Alors j’utilise aujourd’hui les mots pour faire la passerelle entre vous et moi, entre vous et vos proches, ou pour un futur vous. Car la solitude dont on a besoin dans ces moments là, est loin d’être facile à comprendre, loin d’être facile à contrôler.
Trois mois après son départ, j’ai toujours parfois ce sentiment que je vais un jour le revoir. A force de vivre loin de ses proches, on s’habitue en quelque sorte à cette absence. On vit avec. Alors quand on vous dit que cette fois c’est pour toujours, il vous faut beaucoup de temps, pour pleinement le réaliser… Je me suis donc forcée à me confronter à la vie, jour après jour, et à réaliser, soir après soir, que cette fois, il ne rentrerait pas. Il ne rentrerait plus. Mais une fois installée dans cette routine, le plus dur, c’était d’en ressortir. Car affronter sa tristesse est une chose, affronter celle de ceux que l’on aime, en est une autre. Je me suis vue sombrer dans ma relation avec moi même et dans celle avec mes proches sans savoir comment m’en sortir.
Jusqu’au jour où tu réalises que pour sauver les autres, il faut d’abord se sauver soi.
En partant sans prévenir, il nous a laissé la plus importante des leçons de vie : celle qu’il faut vivre chaque jour comme si c’était le dernier, car tout peut s’arrêter en une fraction de seconde et les remords valent bien plus que des regrets. Alors j’ai repris la route du voyage, celle de la vie. Je pense qu’au fond, on ne sort jamais indemne d’un deuil ou d’une situation difficile. Mais on peut choisir d’en ressortir changé, grandit.
La vie n’a ce goût de bonheur que si l’on accepte de le vivre à l’instant présent. Quand tout est noir, que l’eau est froide, que la rive se fait de plus en plus loin, souvenez-vous que
« Nothing in Nature blooms all year long »
soit « Rien dans la nature, ne fleurit toute l’année. » Il n’y a pas de bonheur sans tristesse, de joie sans déception, d’amour sans haine. Si la vie et l’univers nous confrontent à des situations difficiles, ne les fuyons pas. Vivons les. Affrontons les. Mais n’oublions pas de faire un pas en avant parfois, pour sortir la tête de l’eau, et observer la cascade s’écouler, avec un peu de recul.
Ce pas en avant, je le fais une nouvelle fois à travers le voyage. Une distance physique que je m’impose, pour reprendre la distance mentale nécessaire pour guérir. J’ai mis les pieds pour la première fois en Norvège il y a cinq jours et je compte bien reprendre ici et là mes brèves histoires de « Coco au pays des… ». Je vais reprendre le temps de vous écrire, mais aussi et surtout de m’écrire, pour réaliser pleinement chaque mois, ce que je vis à travers ce grand voyage de la vie. L’occasion pour moi d’ouvrir un nouveau chapitre de ce blog et de vivre pleinement ce que le voyage m’apporte avant tout, cette « travel therapy ».
A très vite,
Love
Co.
Comments